Ruth Barabash

Ruth Barabash est née en 1963 à Petah Tikva (Israël). Elle a étudié la philosophie à l’université de Tel Aviv. Elle est diplômée avec les félicitations du jury de l’École nationale supérieures des Beaux-arts de Paris en 1995. En 2003, la galerie Éric Dupont a présenté ses oeuvres. Ruth a pour particularité de peindre, d’après photographies, à partir de catalogues de jouets, de représentations de magazines. Son 
travail est lié à son expérience personnelle en tant que femme qui a grandi dans l’Israël
 de la guerre et qui vit aujourd’hui à Paris.

Précariser le sujet
, fractionner le motif

La plupart de ses oeuvres, au lieu de s’inscrire sur un support unique, est constituée d’un support fractionné, sans encadrement, ni verre. Ruth Barabash associe des formats ensemble pour obtenir une surface plus importante. Elle procède ainsi, comme si elle n’avait pas à sa disposition des feuilles assez grandes, comme si elle était obligée de tricher, en rajoutant : ou pire encore, comme si elle n’avait pas anticipé et que, finalement, elle souhaitait faire plus grand. On imagine bien pourtant que, derrière cette manière de faire, se dissimule une intention. L’agrandissement se présente et s’affirme bien comme une association de petits formats au sein d’une représentation. (Extrait critique de critique Siliane Masson)

Son travail est en collection, au Centre Georges Pompidou, au Musée d’art moderne de Saint-Etienne, au Musée d’art moderne de Petah Tikva, Fond National Art Contemporain Paris, Institut des Beaux-arts de Shenzhen, Frac Picardie, Caisse des dépôts et consignations.

02 – Entretien avec Evelyne Jouanno – juillet 2004

Evelyne Jouanno Finis les jouets de guerre, les défilés de mode mêlés aux parades militaires, les paysages sombres et dépouillés, les mappemondes qui pleurent. Nous sommes ici devant l’évasion 
et l’allégresse : plages et cocotiers, îles de rêve au milieu d’océans, bateaux de croisière, villages de vacances, et puis un peu partout, des papillons, mais aussi des paroles de chansons, des chansons d’amour bien sûr…
Que s’est-il passé pour que ta peinture prenne cette envolée soudaine ?

Ruth Barabash Non, je ne prends pas de Prozac et le monde n’a pas changé. Il s’agit en fait de la même approche présentée sous un angle différent. Si j’ai peint pendant deux ans des machines de guerre à partir d’images trouvées dans les catalogues de jouets pour enfants, c’est parce que ceux-ci expriment selon moi les valeurs et le vrai désir de nos sociétés. Aujourd’hui, je me sers de cartes postales et d’images de catalogues de vente de vacances parce qu’elles véhiculent la même contradiction. Ce monde sur papier glacé vendu par l’industrie du tourisme, avec ses clichés hautement séduisants et léchés est le monde que nous habitons, celui des conflits, des guerres, des violence et misère sociales. Un monde utopique en quelques sortes, construit de toutes pièces et dans des contextes parfois très pauvres afin d’attirer des milliers de touristes et les arracher à leur quotidien. C’est tout ce paradoxe que j’essaie de montrer dans ma série actuelle. Les paroles de chansons d’amour qui accompagnent les peintures ont la même fonction. Ce sont des chansons que j’ai pu entendre pendant que je travaillais, captées sur les ondes radio les plus populaires. Comme les paysages de vacance, comme les papillons qui agrémentent aussi cette série, elles renvoient à l’utopie, à l’effet de mode, à l’éphémère.

E.J. Derrière ces différentes réappropriations se trouve donc une grande part d’ironie mais aussi, sans doute, le désir intime de réinventer le monde. Parmi les noms permettant d’identifier les paysages il n’est pas anodin par exemple de trouver Israël, ton pays, celui où tu as grandi et vécu jusqu’à ton arrivée en France.

R.B. Israël des années 70 était noyé dans l’utopie. On nous a élevés avec des valeurs socialistes en matière d’écologie, de partage, d’égalité et de fraternité (sans comparaison avec le slogan français). C’était une éducation très patriotique basée sur l’amour de notre pays. On nous a appris le nom de chaque oiseau et de chaque plante, chaque colline était admirée pour son appartenance à Israël. Il s’agissait d’une utopie mêlée d’une grande naïveté puisque pour les enfants, Israël était présenté comme un vrai paradis. Une construction purement imaginaire, de fait, qui n’a bien sûr rien à voir avec la réalité et que seul le touriste pourra trouver en découvrant Israël, depuis l’extérieur. C’est pourquoi j’ai ajouté « beautiful Israël » sur cette peinture. Une ironie en effet, qui renvoie à celle des médias et à la manière qu’ils ont de nous imposer un regard « mystificateur » sur le monde. Repeindre ces images d’un monde présenté comme idyllique par nos sociétés me permet ainsi de pousser à l’extrême l’ironie qu’il y a derrière le mythe, et par là, de le « démystifier ». Regarder mes paysages ne pourra se faire sans que la réalité vienne s’y coller, dans la conscience de chacun. Il s’agit en même temps d’interpeller le rêve de territoire parfait que chacun de nous a en soi.

E.J. Les formats et supports sont très variés. Quelle est ta manière de travailler ?

R.B. Tout l’enjeu de ce travail consistant justement à renforcer l’aspect mystificateur de ce monde vendu par nos sociétés, il m’a fallu diversifier les matériaux pour obtenir un résultat visuel davantage brillant et séduisant. Alors que dans mes précédents travaux, je rassemblais des feuilles de papier pour élaborer une seule peinture, le travail actuel réunit différents supports et techniques. J’utilise la toile, plusieurs qualités de papier mais aussi le plastique. J’emploie différentes techniques comme la peinture à l’huile, les encres, les feutres et puis de la peinture pour vitrail et pour céramique. Procéder ainsi me permet par ailleurs de détruire les frontières entre les matériaux nobles et ordinaires (j’utilise même des assiettes en plastique), entre les durables et les éphémères.