La naissance du monde
Tout commence avec un retour dans le village d’enfance : se lever tôt, faire l’ascension des collines avoisinantes, s’installer en haut, dessiner. Tout commence avec ce geste : exprimer ce que l’on voit par le dessin puis la peinture. Le peintre ne se pose pas la question de ce qu’il doit peindre, car la peinture s’impose d’elle-même quand il regarde le paysage. La peinture est déjà là, contenue par la nature encore frémissante, le soleil qui monte, les sonnailles des bêtes. Quand le peintre se tient devant le paysage et le contemple, la peinture s’éveille elle aussi. Les peintures d’Yves Robuschi s’ancrent dans un lieu avec lequel l’artiste lui-même fait corps.
Et il est vrai que ses œuvres ont cette texture un peu rugueuse, ce coup de pinceau spontané, ces couleurs franches qui traduisent leur proximité avec le monde sensible, comme si leur grain en avait recueilli les sensations intimes. Yves Robuschi crée une peinture qui répond sciemment à ce qu’on attend d’un peintre : des couleurs qui plaisent, des formes reconnaissables, un trait franc. « Je n’ai pas une manière particulière de peindre, je peins. » Reprenant pour lui-même ces mots de De Kooning, il insère son art dans les codes implicites de la peinture dite « moderne », comme le moyen le plus évident de rendre compte du monde autour de soi. Il y a des ciels très bleus, des arbres aux frondaisons épanouies, des collines aux lignes sereines et l’ensemble qui s’étage en plans, avec équilibre et harmonie. Comme si tout cela était très simple au fond : la nature est plénitude alors la peinture l’est forcément elle aussi.
Pourtant on pourrait renverser ce que l’on vient de dire. On pourrait dire que même si le peintre monte sur la colline et traduit ce qu’il voit, il arrive aussi en haut avec la peinture qu’il porte en lui. Il arrive avec les expériences fondatrices (la lumière aveuglante du soleil couchant sur le chemin du retour de l’école), avec les œuvres des peintres qui l’ont construit (les chemins à travers les collines romaines de Pascal Dughet, l’ironie de James Ensor, les bleus envahissants de Raoul Dufy, les couleurs jaillissantes de De Kooning), avec les œuvres que l’on reconnaît dans les siennes (les Fauves, les Expressionnistes). Il ajoute ainsi à la nature ce que l’histoire de la peinture en a fait avant lui. Si bien que toute cette histoire sourd de ce paysage qui se met en place sur la toile, aux couleurs si lumineuses et aux masses parfaitement réparties.
Il y a, dans ses œuvres, des endroits où la peinture l’emporte sur le paysage, où le paysage peint n’a que partiellement préexisté à l’œuvre et où c’est le mouvement du pinceau qui a décidé. Par exemple ce bouquet bleu posé sur une assiette, qui est aussi un arbre dont les frondaisons sont aussi des nuages : ce sont les contours ou la liquidité de la matière ou encore les superpositions de couleurs qui ont fait se transformer les motifs. La peinture creuse dans le paysage des courants fluides qui évoquent la construction non-perspective des paysages chinois et qui engendrent des métamorphoses.
Ainsi la peinture donne vie au paysage tout autant que l’inverse. On y voit des arbres qui sont comme des torches, des taches de couleur qui semblent des flammes, des arbres qui s’élèvent telle l’éruption d’un volcan. Il s’y passe des grondements souterrains tapis sous l’apparente tranquillité de la terre, une ferveur sourde comme si une genèse s’y déroulait, une harmonie primordiale qui se libère du chaos.
En rencontrant le paysage, la peinture est créatrice de mythologies.
Anne Malherbe
Instagram : @yves_robuschi